DIXIEME DIMANCHE ORDINAIRE (A)

Publié le par Théophile Baye

" Un homme, du nom de Matthieu."

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu 9, 9-13 

Quel scandale ?

Vous souvenez-vous ? C'était il y a quelques années. Les prostituées de Lyon, lasses de manifester en vain pour réclamer un peu de dignité, occupèrent une église. Quel scandale ! Alors, là, on a parlé d'elles. Pour s'en indigner, naturellement. Comment ! Des prostituées dans une église ! Quelle profanation ! Mais alors que tous les bien-pensants s'en offusquaient, l'Église de Lyon a fait remarquer qu'elle n'y voyait aucun motif de scandale. Et nous ? Quelle aurait été notre réaction ? Si nous nous examinons un peu sérieusement, nous en trouverons, des quantités d'attitudes pharisiennes dans notre vie. On a tellement vite fait de classer les gens : il y a ceux qui sont fréquentables et ceux qui ne le sont pas. Il y a ceux dont on s'honore d'être les amis.. et tous les autres, plus ou moins infréquentables. Je me souviens encore d'une remarque d'un de mes anciens paroissiens. Cet homme, qui avait réussi à se guérir de l'alcoolisme, me disait : " Vous ne me voyez plus à l'église, n'est-ce pas, alors qu'autrefois, je ne manquais pas un dimanche. Je vais vous dire pourquoi : les paroissiens (pas tous, mais la plupart) ne m'ont jamais considéré comme un malade. Au lieu de m'aider, ils m'ont souvent enfoncé. "

Les petits, les obscurs...

Si je consulte dans les évangiles la liste des personnes que Jésus fréquentait, je m'aperçois qu'il ne s'agit pas de personnes de qualité : son auditoire est souvent composé de petites gens, ses disciples sont tout en bas de l'échelle sociale, des femmes peu fréquentables, de la Samaritaine à la prostituée de Luc, sont celles qui semblent avoir sa préférence. Sans parler des publicains. Saint Paul fera le même constat : " Regardez votre communauté, écrit-il en substance aux Corinthiens. Il n'y a pas beaucoup d'intellectuels, ni beaucoup de puissants, ni beaucoup de gens bien nés. "

Cela va plus loin. Non seulement Jésus fréquente des gens peu fréquentables, mais c'est à eux qu'il confie des tâches importantes. Aujourd'hui à Matthieu, comme auparavant aux pêcheurs du lac, comme plus tard à la Samaritaine, chargée de nous révéler le grand secret de l'amour divin. Je vous ai déjà rappelés que, dans la société de l'époque, les publicains étaient placés au plus bas de l'échelle sociale : souvent voleurs, sans pitié pour les pauvres contribuables, collaborateurs de l'occupant romain, on crachait sur leur passage. Eh bien, c'est l'un de ces publicains que Jésus appelle. C'est à Matthieu qu'il donne la plus belle marque de confiance. Tu crois que tu n'en es pas digne, Matthieu ? Mais si, dit Jésus. Pourquoi ? Parce que " c'est la miséricorde que Dieu veut, et non les sacrifices. "

Retournement

Nous voilà au cœur d'un des plus profonds retournements que puisse opérer la religion chrétienne au sein des consciences humaines. Remarquez cependant que cette parole n'est pas de Jésus. Il ne fait que citer le prophète Osée. Mais lui, il va vivre cela. Ce pourrait être le maître mot qui donne sens à toute sa conduite : la miséricorde plutôt que les sacrifices. Comprenons bien, tout d'abord, le sens de ces mots. Les sacrifices étaient la réalité la plus universelle de la religion juive, comme d'ailleurs de toutes les religions de l'antiquité. Ils étaient le cœur de la religion. On venait au Temple, d'un peu partout, pour offrir des sacrifices. Sacrifices sanglants ou non sanglants, c'était toujours une offrande qu'on tenait à faire à Dieu. On se dépossédait de quelque chose qui nous appartenait pour en faire don à Yahveh. Les prophètes avaient eu beau, depuis des siècles, relayer la parole de Dieu pour qui ce n'est pas cela qui compte (" J'en ai assez des holocaustes de taureaux et de la graisse des veaux ", en Isaïe 1, 11), on continuait à offrir des sacrifices : c'était l'activité essentielle du Temple. A cette espèce de marchandage, qui était l'essentiel de la relation " verticale " de l'homme à son Dieu, Jésus va substituer une relation " horizontale " : la miséricorde, qui consiste essentiellement à ouvrir son cœur à la misère de l'autre. Le mot miséricorde a perdu beaucoup de sa force pour nos contemporains. Et pourtant, il est essentiel : pas de vie en société possible sans miséricorde. Cette attitude fondamentale, que Jésus met au centre de toute son activité pendant toute sa vie publique, nous indique dans quel sens il a conçu sa mission de rédempteur : il est " venu chercher et sauver ce qui était perdu ".

Concrètement

Ce qui veut dire, concrètement, que la volonté de Dieu, c'est que tout homme ouvre son cœur à la misère des autres. Qu'il ne passe pas indifférent devant le malheur, la souffrance, la misère. Et que cela est premier. Beaucoup plus important même que d'aller à la messe chaque dimanche. Cela vaudrait le coup qu'aujourd'hui, nous prenions le temps de nous demander qui nous fréquentons en priorité : cela nous donnerait peut-être l'occasion de réviser certaines conduites par trop conformistes.

En tout cas, c'est le même Jésus qui était montré du doigt parce qu'il fréquentait les publicains et les pécheurs, et pour qui seuls les malades ont besoin du médecin qui, au dernier jour, nous dira peut-être : " J'ai eu faim, j'ai eu soif, j'étais nu, malade ou en prison : qu'avez-vous fait pour moi ? "

Aurons-nous été suffisamment miséricordieux ?

Père Théo. BAYE !

 

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