VINGT-NEUVIÈME DIMANCHE ORDINAIRE (A)

Publié le par Théophile Baye


Est-il permis, oui ou non, de payer l'impôt à l'empereur ?

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu 22, 15-21

Un homme libre

« Tu es toujours vrai. Tu enseignes le vrai chemin de Dieu. Tu ne te laisses influencer par personne. Tu ne fais pas de différence entre les gens. » Ce sont les adversaires de Jésus, ennemis entre eux, mais pour une fois ligués contre lui, pharisiens défenseurs de l’indépendance nationale et hérodiens, plus ou moins collaborateurs de l’occupant romain, qui dessinent un magnifique portrait du Christ : c’est un homme vrai, dont l’enseignement est vrai, un homme libre et ouvert à tous. Une fois de plus, la tentation se présente sous le masque du bien. Nous avons à être attentifs car nous pouvons nous y laisser prendre, aussi bien en politique que dans les rapports professionnels ou dans tous nos projets humains.

Avec Jésus, par contre, les piégeurs vont être piégés. Ils se servent de la monnaie de l’occupant, ils acceptent donc son administration, par conséquent… Jésus les renvoie à eux-mêmes et à leur propre problème : la pièce de monnaie à l’effigie de César est sortie de leur poche. Mais nous ? Nous qui lisons aujourd’hui cette parole de Jésus, nous n’allons pas nous contenter d’admirer son habileté à retourner la situation. Il faut nous demander ce qu’il a bien voulu nous dire par son « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu ? Y aurait-il dans notre vie une part réservée aux affaires, à la politique, au travail, et une autre réservée à Dieu ? Faut-il ainsi séparer les domaines, avec un temps pour l’homme (toute la semaine) et un temps pour Dieu (la messe du dimanche) ? Dieu et César, deux pouvoirs, et à chacun son dû ?

Hier...

Ce serait une grosse erreur. Nous le savons bien, notre relation à Dieu ne se vit vraiment qu’à travers toutes nos relations humaines. Ce que nous faisons pour (ou contre) chacun des plus petits de nos frères, c’est à Dieu que nous le faisons. Relisons la première lecture de ce jour et nous verrons que notre Dieu est le « Seigneur des seigneurs » terrestres. Que s'est-il passé ? Une fois de plus, une guerre au Moyen-Orient. Rien de nouveau sous le soleil ! En juin 539 avant Jésus Christ, l’Iran, gouverné par Cyrus, envahit l’Irak, prend Babylone la capitale sans coup férir ; et l’un des premiers gestes de Cyrus est d’ordonner la reconstruction du Temple de Jérusalem, détruit quelque cinquante ans auparavant par les troupes de Nabuchodonosor. Les déportés vont pouvoir rentrer dans leur patrie. Le livre d’Isaïe, faisant allusion à l’événement, met dans la bouche de Dieu cette parole adressée à Cyrus (un païen) : « A cause d’Israël mon élu, je t’ai appelé par ton nom, je t’ai décerné un titre, alors que tu ne me connaissais pas…pour que l’on sache qu’il n’y a rien en dehors de moi ». Et les déportés, rentrant dans leur pays, rendent grâce, non pas à Cyrus, mais à Dieu qui les a délivrés.

Aujourd'hui

Et pourtant ! Il faut manier avec précaution cette relation sacré-profane. Distinguer, certes, mais pour bien préciser cette relation. Lorsque les pharisiens viennent demander à Jésus s’il est permis de payer l’impôt, ce « permis » renvoie à la Loi, à la Parole de Dieu. Dieu permet-il de payer l’impôt à César ? La question de l’impôt se trouve sacralisée. C’est à partir de principes théologiques qu’on va la résoudre. On voit tout de suite les conséquences : telle ou telle prise de position politique risque, de même, d’être sacralisée. La cause du roi devient la cause de Dieu. Un chrétien ne peut voter qu’à gauche, ou à droite (selon l’humeur du moment) : la droite et la gauche sacralisent leurs options. La réponse du Christ désacralise : payer ou non l’impôt à César dépend, non de principes théologiques, mais de principes politiques.

Ce qui ne veut pas dire, encore une fois, que les relations entre les hommes n’ont rien à voir avec Dieu. Il n’y a pas deux domaines séparés. On parle certes beaucoup d’autonomie de l’humain, mais cela ne veut pas dire qu’une réalité humaine, quelle qu’elle soit, puisse échapper à Dieu. Dieu est la vie, Dieu est l’origine. Le propos de Jésus se situe donc à un autre niveau de profondeur. « Tu enseignes le vrai chemin de Dieu », disent à Jésus ses interlocuteurs. Oui, mais le vrai chemin de Dieu passe par l’homme. C’est dans la mesure où il est vrai, vraiment humain, que tout rapport entre les individus, comme entre les groupes ou entre les sociétés, est chemin de Dieu. Jésus renvoie ses contradicteurs à la vérité de leur rapport à César. En rendant à César ce qui est à César, on rend à Dieu ce qui est à Dieu. Même sans le savoir.

Plus profondément

Il y a quelque chose de plus profond encore dans la réponse de Jésus. Et cela concerne l’espace « divin » de notre liberté. Tout pouvoir humain a tendance à se transformer en pouvoir absolu. Pas besoin d’être grand politologue pour le constater. Notre époque a connu, non seulement des dictatures, mais des démocraties « populaires » qui n’avaient, hélas, rien de démocratique. Et même dans nos démocraties « occidentales », que de magouilles, de coups tordus, de violences et de combines dans la conquête du pouvoir ! Regardons, de même, et à une autre échelle, comment tous les pouvoirs (économiques, sociaux, religieux ou familiaux) ont sans cesse la tentation de devenir des pouvoirs absolus. A l’image des Césars du temps de Jésus, qui se faisaient adorer comme des dieux. L’effigie de la pièce de monnaie qu’on présente à Jésus l’indique : sur une face, autour de la tête couronnée de lauriers, une inscription : « Effigie du divin César » Jésus nous rappelle simplement, face à tous les pouvoirs humains, le premier commandement : « Tu n’adoreras que Dieu seul. » Là est le rempart contre tous les esclavages. Pour le reste, à chacun de travailler et de vivre, dans la cité, dans sa profession, dans la famille, de l’immense liberté des enfants de Dieu.

Père Théo. BAYE !

 

 

 

 

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